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Les souvenirs de François Vauvillain
31 février 2018. Confortablement calé derrière l’imposant bureau en marbre du Sénégal qu’il a fait installer dans la chambre de son EHPAD, le célèbre éditeur François Vauvillain songe à sa prochaine nouvelle publication. Voyons, voyons, « VTM », Vieux Tracteurs Moisis ?.. Ou encore « GDM », « Grosse Débâcle Magazine », pour traiter en profondeur de la campagne de 40 ? Et pourquoi pas « SAM », « Soldat Allemand Magazine » ? Non, trop germanopratin… Frouchti, frouchta, il fourrage nerveusement dans sa barbe rêche, lorsque soudain lui vient l’illumination : ce sera « MPM », Maréchal Pétain Magazine » !... Voilà, la parfaite conciliation de son amour pour la France éternelle et les bandes molletières…
Tandis qu’il s’enfonce avec satisfaction dans son fauteuil en croûte de cuir retourné, les souvenirs lui reviennent en mémoire… Eté 1950, île de Meydeux… Alors jeune scout en camp de vacances, il gambade joyeusement sur le chemin qui mène à l’épicerie locale, sa liste de courses à la main…
Soudain, un détail insolite attire son attention. Une belette, puis un lièvre effarouché, s’échappent d’un buisson. Puis c’est un corbeau, qui s’enfuit à tire d’ailes en poussant de grands cris courroucés… Intrigué, il s’approche prudemment, et écarte le feuillage.
Stupeur. Les yeux exorbités et le sourcil froncé, un vieillard se tient accroupi derrière le buisson… Le cœur de François Vauvillain bat à tout rompre… Cette calvitie, cette énorme moustache blanche… Pas de doute ; c’est bien lui !...
Il balbutie : « Ma… Maréchal, vous voilà ?... »
« Ah mon garçon, tu tombes à pic ! », lui répond le vieil homme de sa fameuse voix chevrotante. « Passes moi cette feuille de papier, là… » dit-il en désignant la liste de commissions que François, tremblant, tient à la main. Le vieillard fait mystérieusement disparaitre la liste de courses derrière son dos, puis il se relève en craquant de tous ses vénérables os.
« Mon garçon, un maréchal n’est pas ingrat ; je vais te récompenser comme il se doit. Aimes-tu les sucres d’orge ? Allons, approche, ne sois pas timide... »
François s’exécute, mais submergé par l’émotion, ses jambes fléchissent et, les yeux embrumés, il tombe à genoux devant l’iconique aïeul.
« Tiens mon petit, goûte-moi ce bâton de maréchal ! »
Enivré par l’effluve malodorante du berlingot violacé tendu devant sa narine, il pense : « Le maréchal a du garder longtemps cette sucrerie dans sa poche… », mais il enfourne néanmoins la friandise flasque et la suce goulument.
Hélas l’extase est trop forte pour le jeune scout ; alors même que le maréchal fait don de sa personne, François s’évanouit et chute lourdement sur le sol natal…
Lorsqu’il reprend connaissance, le vieillard a disparu ; était-ce une illusion ? Comme pour se prouver qu’il n’a pas rêvé, François ramasse pieusement sa liste de courses froissée en chassant les mouches d'un revers de main, puis il reprend son chemin, le cœur gonflé de ferveur et de reconnaissance.
Mais fi des souvenirs lointains... Il est l’heure de descendre au réfectoire, se dit François en collant sous son bureau une crotte de nez dûment malaxée ; en plus, ce midi c’est mon plat préféré : carottes Vichy !
31 février 2018. Confortablement calé derrière l’imposant bureau en marbre du Sénégal qu’il a fait installer dans la chambre de son EHPAD, le célèbre éditeur François Vauvillain songe à sa prochaine nouvelle publication. Voyons, voyons, « VTM », Vieux Tracteurs Moisis ?.. Ou encore « GDM », « Grosse Débâcle Magazine », pour traiter en profondeur de la campagne de 40 ? Et pourquoi pas « SAM », « Soldat Allemand Magazine » ? Non, trop germanopratin… Frouchti, frouchta, il fourrage nerveusement dans sa barbe rêche, lorsque soudain lui vient l’illumination : ce sera « MPM », Maréchal Pétain Magazine » !... Voilà, la parfaite conciliation de son amour pour la France éternelle et les bandes molletières…
Tandis qu’il s’enfonce avec satisfaction dans son fauteuil en croûte de cuir retourné, les souvenirs lui reviennent en mémoire… Eté 1950, île de Meydeux… Alors jeune scout en camp de vacances, il gambade joyeusement sur le chemin qui mène à l’épicerie locale, sa liste de courses à la main…
Soudain, un détail insolite attire son attention. Une belette, puis un lièvre effarouché, s’échappent d’un buisson. Puis c’est un corbeau, qui s’enfuit à tire d’ailes en poussant de grands cris courroucés… Intrigué, il s’approche prudemment, et écarte le feuillage.
Stupeur. Les yeux exorbités et le sourcil froncé, un vieillard se tient accroupi derrière le buisson… Le cœur de François Vauvillain bat à tout rompre… Cette calvitie, cette énorme moustache blanche… Pas de doute ; c’est bien lui !...
Il balbutie : « Ma… Maréchal, vous voilà ?... »
« Ah mon garçon, tu tombes à pic ! », lui répond le vieil homme de sa fameuse voix chevrotante. « Passes moi cette feuille de papier, là… » dit-il en désignant la liste de commissions que François, tremblant, tient à la main. Le vieillard fait mystérieusement disparaitre la liste de courses derrière son dos, puis il se relève en craquant de tous ses vénérables os.
« Mon garçon, un maréchal n’est pas ingrat ; je vais te récompenser comme il se doit. Aimes-tu les sucres d’orge ? Allons, approche, ne sois pas timide... »
François s’exécute, mais submergé par l’émotion, ses jambes fléchissent et, les yeux embrumés, il tombe à genoux devant l’iconique aïeul.
« Tiens mon petit, goûte-moi ce bâton de maréchal ! »
Enivré par l’effluve malodorante du berlingot violacé tendu devant sa narine, il pense : « Le maréchal a du garder longtemps cette sucrerie dans sa poche… », mais il enfourne néanmoins la friandise flasque et la suce goulument.
Hélas l’extase est trop forte pour le jeune scout ; alors même que le maréchal fait don de sa personne, François s’évanouit et chute lourdement sur le sol natal…
Lorsqu’il reprend connaissance, le vieillard a disparu ; était-ce une illusion ? Comme pour se prouver qu’il n’a pas rêvé, François ramasse pieusement sa liste de courses froissée en chassant les mouches d'un revers de main, puis il reprend son chemin, le cœur gonflé de ferveur et de reconnaissance.
Mais fi des souvenirs lointains... Il est l’heure de descendre au réfectoire, se dit François en collant sous son bureau une crotte de nez dûment malaxée ; en plus, ce midi c’est mon plat préféré : carottes Vichy !
